Les photos de Graf proviennent de la ville
du Mans (72)..
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voir son site :
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Historique
Inventé par les adolescents de la communauté
grecque américaine, il y a un quart de
siècle, le tag s’est très
vite répandu dans les ghettos. Ces signatures
sont apparues sur les murs des villes françaises
avec un décalage de près de quinze
ans, importées par des adolescents parisiens
de milieux aisés faisant le va-et-vient
entre New York et Paris...
Localisées exclusivement dans la capitale
pendant cinq ans, elles gagnent la banlieue
dans le courant de l’année 1987
et le mouvement atteint son point culminant
en 1990.
Le tag n’appartient pas plus à
la banlieue qu’à la capitale ;
il ne dépend pas d’un label ethnique,
ni d’une religion, ni d’une classe
sociale particulière ; il est avant tout
la manifestation d’adolescents dans le
monde urbain. On devient tagueur à la
fin de l’enfance, entre 11 et 15 ans.
A partir de 15-16 ans, le tagueur n’abandonne
pas la partie mais commence à expérimenter
un autre style de lettrage qui est, par sa forme
aux antipodes du tag. Ainsi est né le
troop ou le top-to-bottom.
Ce rituel graphique aboutit enfin au graff,
peinture murale fondée sur l’écriture
et la représentation de personnages,
qui orne aujourd’hui, en particulier,
les ponts et murs des voies ferrées.
Les graffeurs sont âgés de 17,
18 ans.
Aux origines de cette trilogie graphique se
trouve donc le tagueur. Il exprime par ce moyen
son passage dans ce que les adultes désignent
par l’expression "âge difficile".
Le tag est en quelque sorte l’équivalent
du chapardage de pommes et de cerises auquel
se sont toujours livrés les adolescents
des campagnes françaises. Cette déviance
momentanée est un moyen de tester les
règles de socialisation du monde adulte.
L’une des caractéristiques du tag
est sa quasi-illisibilité.
Révolte contre la famille, révolte
contre le système scolaire. S’en
prendre directement à l’écriture
en s’efforçant de détruire
le lettrage, voilà un règlement
de comptes clair et net avec l’acquis
scolaire dont l’écriture est la
base. Toutes les astuces sont utilisées
pour rendre le tag illisible.
Mais bien vite, le tagueur est confronté
à sa propre contradiction et doit choisir
: accomplir la destruction définitive
du lettrage en le réduisant à
un gribouillage ou bien accepter le compromis
ultime qui consiste à conserver les règles
formelles de l’alphabet, quelque rejet
qu’il en ait.
Ne l’oublions pas, l’objectif premier
du tagueur est de montrer son tag à autrui,
d’en être compris. Pour cela, il
doit s’arranger avec la stylistique de
son lettrage : un a se doit de rester un a,
malgré les variations multiples de ses
formes graphiques. Mais les raisons d’être
du tag sont multiples et ne s’arrêtent
pas à une affaire de stylistique. Le
tagueur doit passer à l’acte.
Marque de révolte teintée de compromis,
cette signature pour les jeunes un moyen de
s’affirmer qui n’a pas de précédent.
C’est une revendication identitaire qui
s’impose dans la ville, à la barbe
des adultes qui n’ont jamais l’occasion
d’en apercevoir les auteurs.
L’intérêt du tag est qu’il
soit vu non seulement par le tagueur qui l’exécute,
mais surtout par les autres tagueurs, qui doivent
décoder le nom du partenaire, du rival.
Ainsi se déroule dans la ville la petite
guerre codifiée entre les tagueurs. Celui
qui s’impose n’est pas forcément
celui qui tague le plus, mais plutôt celui
qui parvient à apposer son tag au bon
endroit, de la façon la plus spectaculaire,
exposé selon la plus parfaite visibilité.
Ainsi, placer son tag dans un endroit idéal
devient la grande épreuve du tagueur.
Sur son parcours familier, le tagueur essaime
ses signatures : il taguera sur les portes cochères,
sur celles du métro, sur les vitres,
au centre des façades, sur les panneaux
de signalisation urbaines, etc.
Il s’arrangera pour sortir tard le soir,
après la fermeture des magasins qu’il
a repérés de jours et dont le
rideau métallique fera un excellent support.
Mais le tagueur va bientôt s’exercer
une nouvelle écriture, le troop. Il accède
ainsi à la seconde phase graphique du
rituel dans lequel il est engagé.
Autant le tag se présente sous forme
d’une écriture désarticulée,
fruit d’une gestuelle précipitée,
autant le troop est une écriture strictement
organisée, avec les règles formelles,
et dont la spontanéité est absente.
Cet appel aux conventions graphiques révèle
l’assurance progressive du tagueur, une
maîtrise de l’angoisse adolescente
avec tout ce qu’elle contient de charge
émotionnelle. Car le tagueur emploie
la perspective, si bien que les lettrages du
troop ont un volume qui lui confère une
solidité plastique.
Les lieux du troop diffèrent des lieux
habituels du tag : le choix des espaces est
généralement moins provocant.
Dans sa reconversion progressive à ce
type de lettrage, le tagueur recherche des endroits
tranquilles, moins équivoques, moins
risqués : ponts et murs bordant les voies
ferrées, terrains vagues aux palissades
abandonnées, murs de quartiers en rénovation,
chantiers ouverts, piliers de ponts.
Ces espaces nouvellement découverts
et conquis sont pour ces adolescents une manière
d’affirmer leur liberté par une
pénétration plus profonde du tissu
urbain. La surface du troop annonce le graff.
Ce dernier est la phase finale de ce rituel
de passage des jeunes en milieu urbain. Encore
composé de lettrages, il contient désormais
des personnages, souvent inspirés des
bandes dessinées, et véritable
" bestiaire " du monde contemporain.
Des visages aux arcades saillantes côtoient
des enfants chauves, des pin-up au rimmel dégoulinant,
au rouge à lèvres flamboyant.
Les supports du graff sont ceux du trop : terrains
vagues, murs d’immeubles en démolition
- exige de la part de ces jeunes une stratégie
très élaborée.
Les graffeurs agissent de nuit, défiant
les systèmes de surveillance. Le parcours
nocturne du " combattant graffeur "
pour accéder à son support prohibé
devient ainsi une marge de temps arrachée
aux parents. Cette " déviance "
qu’est le graff ne se résume pas
à l’aspect négatif que lui
confère la loi : le gaffeur sait que
son dessin réalisé sur un mur
encrassé ou un wagon apporte une esthétique
certaine. Cette esthétique n’a
d’ailleurs pas besoin de faire l’unanimité
des adultes, il suffit que quelqu’un la
reconnaisse et l’affaire est jouée.
C’est dans ce contexte que les graffeurs
réussissent à négocier
avec les municipalités pour officialiser
leurs oeuvres. Des contrats ont été
établis, portant sur des murs, des panneaux,
des salles publiques, et même avec le
ministère de la Culture, ce qui leur
permit l’accession aux musées.
Des municipalités ont joué le
jeu. Tout en décriant le tag, elles ont
reconnu le graff. Le graffeur, désormais
accepté, n’est plus traité
comme un tagueur irresponsable, comme un trouble-fête,
mais comme un " égal " avec
lequel on dialogue et on passe un contrat.
C’est alors la fin de cette sorte d’épreuve
initiatique. Car le tag et le graff ne sont
pas des oeuvres d’art mais des rites nouveaux
de l’art de la ville. Le graffeur est
maintenant face à son semblable, l’adulte.
Et de fait, le graffeur est désormais
lui-même un adulte.